Gouvernement ILUNKAMBA I: trois tares minent le quinquennat de Fatshi
Attendue depuis plusieurs mois déjà, la fameuse équipe est enfin rendue publique.
Le retard pris pour la formation du gouvernement est assez éloquent pour témoigner de fins calculs politiques ayant entouré la sélection des « oiseaux rares » qui le composent.
1°. Du profil des nominés
La particularité de cette équipe, c’est qu’elle offre une large opportunité aux nouvelles unités politiques de faire leur première entrée dans le conseil des ministres. Ce qui permet à beaucoup de jeunes de développer la confiance en eux-memes, en perspective d’une relève politique. Des nouvelles figures politiques exigées par Fatshi pour la formation du nouveau gouvernement seraient un indicateur du souci du nouveau Chef de l’État à imprimer l’image du changement prêché lors de sa campagne.
Cette exigence présidentielle a ainsi poussé le camp Kabila (suffisamment rodé à faire fonctionner un véritable gouvernement parallèle sous forme d’officines politiques) à jouer la diversion pour mieux contourner la contrainte du Fils du nouveau « Héros national ». En acceptant de s’effacer sur le plateau gouvernemental, les fidèles de Kingakati savent bien le rôle qui les attend pour œuvrer dans l’ombre en tant que des vrais meneurs de jeu. Ainsi, les jeunes talents prétendument privilégiés ne sont que la partie visible de l’iceberg qui va faire rater la navigation du système Fatshi quant à ses ambitions, susceptibles de lui faire gagner la confiance du peuple aux prochaines échéances électorales. Si la kabilie a choisi de jouer cette tactique, c’est également pour contourner les radars de la communauté internationale braqués sur les grands routiers d’un système épinglés pour atteinte aux droits humains et à l’ordre démocratique.
A voir le classement opéré par le parti présidentiel, en revanche, on s’aperçoit assez nettement que le Chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi est préoccupé par le souci de réussir son mandat à la tête du pays.
En alignant la grande artierie politique de l’UDPS, on s’aperçoit que le Chef prend réellement la mesure de la situation pour positionner ceux qui, au sein de son parti, croient à son rêve de bâtir un Congo nouveau.
Par ailleurs, en tendant la main à Antipas Mbusa Nyamwisi, le grand leader de la partie orientale du pays (zone la plus peuplée de la RDC), Fatshi veut non seulement se rassurer du soutien de tout le peuple à son pouvoir, mais aussi mise sur l’expertise politique et la percée diplômatique d’un Homme dont la rigueur éthique et la bonne volonté ne sont plus à démontrer. Presentie membre du gouvernement compte tenu de son dernier rapprochement avec Fatshi, la personne de Mbusa Nyamwisi se serait heurtée à deux barrières politiques qui ont conjugué les efforts pour bloquer son classement. D’un côté, Joseph Kabila qui connaît bien l’homme dans sa grande perspicacité et ses exigences en transparence dans la conduite des affaires publiques a trouvé en ce personnage une menace réelle à ses intérêts politiques autour de Fatshi et à l’Est du pays. De l’autre côté, Vital Kamerhe qui prétend incarner le leadership de la partie Est du pays dans le precarré de Fatshi a dû œuvrer pour empêcher la percée de Mbusa Nyamwisi dans la nouvelle équipe où un ministère de souveraineté lui était déjà réservé par Fatshi. Ceci diminuerait l’influence de VK sur le Chef et émietterait son « leadership » à l’Est, au point de compromettre ses ambitions présidentielles de 2023 (déjà confirmées par ses très proches). Ainsi, pour éviter d’être mal jugé par Fatshi, VK s’est arrangé pour faire une passe d’or à Kabila mieux placé pour bloquer le dossier de l’Ennemi commun. Ce qui fut fait avec succès, au détriment du Chef. Dans les coulisses du CACH, les indiscrétions font état d’une menace sérieuse, par VK, de démissionner du CACH, si jamais monsieur Mbusa Nyamwisi prenait part au gouvernement ILUNKAMBA. Il en serait de même pour Claudel Lubauya, une victime personnelle de VK.
2°. Deux cabinets politiques au service de Kabila
Fatshi devrait déjà savoir (s’il ne le savait pas encore) que son cabinet et celui de son prédécesseur jouent en parfaite harmonie le jeu de Kabila. Non seulement parce qu’il existe un accord de partage des postes dans un gouvernement de coalition CACH-FCC (ce qui est normal), mais aussi et surtout parce que le locataire du cabinet présidentiel est resté attaché à son partenaire de longue date et dont le cabinet politique fonctionne normalement à la ferme de Kingakati. En effet, la séparation VK-Kabila n’a jamais été liée à une contradiction politique, mais plutôt à un dérapage communicationnel autour de l’opération Umoja wetu initiée conjointement par Kinshasa et Kigali. La preuve en est que lorsque Kabila a décidé de l’éviction de VK du perchoir de l’Assemblée nationale (pour le punir), l’homme a sollicité le service de Madame Olive Lembe pour canaliser sans succès sa demande de pardon à son Chef en séjour à Beni (au Nord-Kivu). Les rapports entre les deux personnages étant donc déjà normalisés, l’heure est à la fédération d’efforts politiques pour poursuivre le chantier politique commun amorcé en toute fidélité sous l’AFDL.
Les observateurs bien avertis tentent de comparer le cabinet présidentiel actuel à celui de Mobutu ténu à l’époque par Bisengimana qui a joué un rôle très déterminant pour préparer l’État zaïrois à l’évasion rwandaise. Le Président Fatshi ne s’etonnerait pas du tout de voir les dossiers top secrets soumis à son cabinet filtrés puis traités d’avance à la ferme de Kingakati, où les officines politiques sont parfaitement en marche. Le mieux pour le Chef de l’État serait de recomposer son cabinet (s’il veut y avoir une main mise), en élevant l’actuel Dircab à un poste ministériel compensatoire.
3°. Déficit de crédibilité populaire
Le fait que le pouvoir qui se met en place semble être dépendant de la volonté de Kabila alimente la méfiance du peuple vis-à-vis du nouveau régime politique. Beaucoup de citoyens ne croient plus à la bonne volonté de Fatshi (à l’issue de la mise en place de toutes les institutions du pays telles que renouvelées), compte tenu de la censure de ses décisions par le « fermier » de Kingakati. En effet, J. Kabila a joui du droit de jugement sur les propositions des personnes choisies par CACH et FCC pour intégrer le gouvernement. On peut être sûr que le président sortant n’a plus rien à craindre, côté contrôle du pouvoir du fils du Sphinx. Y compris dans les nominations au sein de l’armée, le peuple voit la main noire de l’homme dont les congolais peinent à se débarrasser. Dans ce climat de méfiance populaire généralisée, Fatshi aura du souci à se faire accompagner du peuple et des leaders politiques qui continueront de penser que c’est la loi de Kabila qui guide ses décisions. Saura-t-il garder côte à côte Lubaya-VK ou encore Kabila et celui qui lui donne du fil à retordre (Mbusa Nyamwisi) avec qui les rapports sont marqués par les dernières dénonciations de l’incurie du système Kabila face aux massacres en cours à Beni? De quelle garantie sécuritaire beneficierait cet acteur politique sur qui compte Fatshi, lorsqu’il est clairement établi que la main de Kabila est très active dans l’administration politique actuelle du pays ? Non seulement à travers les concertations entre les deux présidents (entrant-sortant), mais aussi à travers un cabinet présidentiel acquis à un pro-kabila?
Dans tous les cas, il revient au Chef de l’État de jouer son rôle et d’assumer le pouvoir lui reconnu, sans se faire obstruer par des personnes aux jeux qui échappent à l’entendement du peuple. Les bonnes volontés citoyennes et patriotiques lui sont disponibles pour réussir à sortir la RDC du diktat de la kabilie.
Que Fatshi soit gagnant, il en va de l’intérêt de la RDC et de son peuple. La lutte continue.
Le peuple d’abord…
Me Germain MUKENDI, Chercheur à l’Observatoire de la Gouvernance Politique en Afrique Centrale, OGPAC