LETTRE OUVERTE
À Mesdames et Messieurs les Agents et Représentants de l’État affectés dans la région de Beni.
Objet : Le cacao de Beni – Une résilience trahie, un peuple abandonné, une fiscalité inhumaine.
De : Léonce Akilimali
Chercheur – Acteur communautaire – Porte-voix de Beni
Beni
Nord-Kivu
📞 +243 998 811 841
📩 leonceakilimali9@gmail.com
Mesdames, Messieurs,
Je vous adresse cette lettre non comme une plainte ordinaire, mais comme le cri profond d’un peuple qu’on refuse d’écouter. Ce message ne s’inscrit pas dans le cadre protocolaire des correspondances administratives ; il est le fruit d’une indignation lente, douloureuse, accumulée au fil des enterrements sans fin, des récoltes ruinées, et des espoirs systématiquement trahis.
Beni n’est pas une simple localité de la République. C’est une plaie ouverte que l’on regarde cicatriser seule, puis que l’on vient ponctionner sans vergogne, comme si elle n’avait pas déjà tout donné.
Une terre meurtrie qui nourrit encore
Au cœur de l’horreur et du chaos, Beni n’a jamais cessé de produire. Non par miracle, mais par héroïsme. Nos paysans, nos femmes, nos jeunes, ont continué à semer et à récolter, dans la peur, dans le silence, dans l’oubli. Le cacao, fruit de cette persévérance, est devenu bien plus qu’un produit agricole. C’est un symbole de dignité. Un dernier souffle de vie. Une promesse de renaissance.
Mais à peine avons-nous commencé à nous relever que c’est l’administration de notre propre État qui nous écrase. Non pas par la brutalité armée, mais par une machine fiscale froide, rigide, déconnectée du terrain, et parfois plus paralysante que les groupes armés eux-mêmes.
Ce que vous exigez de nous : un inventaire d’absurdités
Voici ce que vous imposez à nos producteurs, sans état d’âme :
- Des certificats de l’ONAPAC, alors qu’aucun encadrement technique n’a jamais atteint nos collines.
- Des contrôles de l’OCC, alors que ses agents disparaissent à la moindre alerte sécuritaire.
- Des droits exigés par la DGDA, dans une région où ce sont les groupes armés qui contrôlent les axes d’exportation.
- Des autorisations de la Banque Centrale, dans une zone où le moindre guichet bancaire relève de la science-fiction.
- Des documents du *Commerce extérieur, de l’Industrie, de la *DGRAD, aux formulations incompréhensibles pour ceux qui n’ont que la machette comme crayon et la terre comme cahier.
- Des prélèvements tels que l’IPR, l’IBP, et toute une litanie de sigles froids, désincarnés, indifférents à notre réalité.
Ces démarches ne sont pas des politiques publiques : elles sont devenues des pièges administratifs, des murs invisibles, des machines à exclure et à décourager.
Où étiez-vous quand nous avions besoin de l’État ?
Où étiez-vous quand les ADF massacraient nos enfants ? Quand des femmes mettaient au monde dans les forêts, en fuite ? Quand nos villages brûlaient et que nos routes devenaient des pièges mortels ?
Nous avons pleuré seuls. Nous avons enterré seuls. Nous avons reconstruit seuls.
Et maintenant que nous produisons *malgré tout, que nous survivons **sans vous, vous venez non pour nous soutenir, mais pour nous **surveiller, nous **taxer, nous *culpabiliser.
Une fiscalité sans légitimité morale
Vous réclamez des recettes, mais vous n’avez rien semé. Vous nous exigez des déclarations, mais vous ne nous avez jamais accompagnés. Vous nous parlez de normes et de textes, alors que vos administrations ne descendent jamais sur le terrain.
Vous récoltez sans avoir protégé. Vous percevez sans avoir investi. Vous sanctionnez sans avoir écouté.
L’agriculteur de Beni est devenu, dans le regard de ses propres autorités, *un suspect permanent, **un contribuable sans citoyenneté, *un survivant réduit au silence.
Ce que nous demandons, c’est la justice
Nous ne mendions pas. Nous ne fuyons pas nos responsabilités. Nous demandons simplement que l’État reconnaisse la souffrance de sa population et qu’il cesse d’agir comme une puissance étrangère dans nos propres champs.
Voici ce que nous appelons de nos vœux, avec gravité mais aussi avec espoir :
- La suspension immédiate de toutes les tracasseries fiscales et administratives dans les zones sous état de siège.
- La présence effective sur le terrain des services agricoles, commerciaux et douaniers, avec une approche d’accompagnement, non de répression.
- L’harmonisation, la simplification et la réduction des taxes liées à la production et à l’exportation du cacao, pour favoriser une filière transparente et compétitive.
- La fin des barrages routiers illégaux, véritables rançons institutionnalisées sur nos axes de transport.
- La reconnaissance officielle du cacao de Beni comme filière stratégique nationale, levier de reconstruction, de paix et de fierté.
Le peuple de Beni n’a pas besoin de discours. Il a besoin de respect.
Si vous n’êtes pas venus à nos funérailles, venez au moins à notre moisson. Non pas pour la spolier, mais pour la protéger.
Ce peuple, que vous croyez vaincu, est encore debout. Mais il ne tiendra pas éternellement face à une double violence : celle des armes et celle de l’indifférence institutionnelle.
Je vous écris au nom de ceux qui n’ont plus de voix, de ceux dont les mains parlent plus que les lèvres, de ceux qui ont fait du cacao un cri silencieux, une offrande de paix, un acte de foi en l’avenir.
Que cette lettre ne reste pas lettre morte. Elle parle pour des milliers. Et elle attend des actes, pas des signatures.
Léonce Akilimali
Chercheur – Porte-voix communautaire
Beni, Nord-Kivu
Le 25 juillet 2025
