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11 novembre 2018
Face au “dauphin”, Martin Fayulu, un autre candidat surprise
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Une fois de plus, les Congolais ont créé la surprise : la désignation d’Emmanuel Shadary a pris de court les ténors de la majorité présidentielle, celle de Martin Fayulu comme candidat unique de l’opposition déjoue tous les pronostics.
La cause a failli sembler désespérée : ni en Belgique, ni en Afrique du Sud, ni même à Genève, les sept principaux candidats à l’élection présidentielle n’avaient réussi à se mettre d’accord sur un seul nom et les divers médiateurs, dont cette semaine le Britannique Alan Doss, ancien patron de la Monusco, étaient sur le point de jeter l’éponge. Cette fois cependant, alors que la date des élections du 23 décembre se rapproche et que la CENI poursuit le déploiement de ses machines électorales et de sa logistique, il y avait urgence. C’est pourquoi la « communauté internationale » bien décidée à voir émerger un concurrent de taille à défier le dauphin de Kabila, n’avait pas lésiné sur les moyens : les sept candidats à la présidence avaient été enfermés à huis clos dans un hôtel genevois, privés de leur portable, tablettes et autres moyens de communication !
Jusqu’au bout, deux camps s’étaient dessinés autour des deux favoris. D’un côté Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale et président de l’UNC (Union nationale congolaise). Un politicien expérimenté, assuré d’une large base électorale dans l’Est et en particulier au Sud Kivu sa province d’origine, mais toujours soupçonné d’avoir gardé le contact avec Joseph Kabila. En face de lui, Félix Tshisekedi, assuré du soutien de l’UDPS, le parti fondé par son père Etienne (dont la dépouille repose toujours dans un funérarium d’Ixelles) et du vote des Kasaïens, longtemps écartés du pouvoir et jugeant leur heure venue. Désireuse de mettre fin au plus vite à l’ère Kabila, l’UDPS avait d’ailleurs, de manière surprenante, accepté l’usage de la « machine à voter » et résolu d’aller aux élections à la date convenue. Se sentant adoubé par son père lui-même, en dépit de ses faibles qualifications, Félix Tshisekedi aura bataillé jusqu’au bout mais le choix de sa candidature aurait divisé l’électorat et affaibli les chances de vaincre le « dauphin ».
Quant à Martin Fayulu, nul n’aurait osé parier sur le fondateur de ECIDE « engagement pour la citoyenneté et le développement ». Ayant sa base électorale à Kinshasa, cet ancien homme d’affaires était présenté comme un homme plus proche de la société civile que des cercles du pouvoir, dépourvu de larges connections populaires ou ethniques. C’était négliger les chances du plus petit dénominateur commun. En réalité Martin Fayulu, né le 21 novembre 1956 à Kinshasa, est un homme politique expérimenté et un intellectuel reconnu, qui, après une maîtrise à l’Institut supérieur de gestion de Paris obtint un MBA à San Francisco. Economiste, homme d’affaires, il rejoint le groupe pétrolier Mobil à Kinshasa en septembre 1984 et termine sa carrière en Ethiopie, au poste de Directeur général de Exxon Mobile après avoir assumé diverses responsabilités au sein du groupe, aux Etats Unis comme dans plusieurs pays africains. Au début des années 90, il se lance en politique et préside le Forum pour la démocratie et le développement, membre de l’Union sacrée de l’opposition, il participe à la Conférence nationale souveraine puis est élu au Haut Conseil de la République.
Son parcours politique n’a rien à envier à celui de son désormais rival Emmanuel Shadary : en 2006, il est élu à Kinshasa député national et provincial, mais choisit l’Assemblée provinciale, en 2011 il est élu député national à la tête de son parti ECIDE et devient coordonnateur des Forces acquises au changement, une plate forme qui regroupe vingt partis politiques. Durant toutes ces années d’engagement politique, Martin Fayulu a tenu à garder son indépendance financière, investissant les économies de sa vie professionnelle dans l’hôtellerie et l’immobilier. Ce qui lui permet de connaître de l’intérieur les défis du développement dans un pays tel que le Congo, un sujet qu’il aime détailler lors de ses rencontres avec la presse.
Alors que, depuis l’expiration du mandat de Joseph Kabila en 2016 le climat politique s’est durci et que s’est renforcée la répression des mouvements citoyens, Martin Fayulu a veillé à garder le contact avec les jeunes de Lucha et avec les laïcs chrétiens, il a partagé ses réflexions avec le Docteur Mukwege et d’autres intellectuels et il est bien introduit dans les ambassades occidentales, dont la Belgique.
Si ses anciens compagnons de route ne le poignardent pas dans le dos et si le pouvoir ne lui découvre pas soudain un dossier qui permettrait d’invalider sa candidature, Martin Fayulu représente pour le « dauphin » Emmanuel Shadary un adversaire non négligeable, un homme qui lui aussi saura recevoir et donner des coups et sa candidature peut contribuer à renforcer la crédibilité des prochaines élections…
Nous
Non !
Si tout ce que dit ma compatriote est cette fois-ci très important, il faut en revanche souligner quelques points qui tiennent à la culture congolaise et qui lui échappent ou qu’elle n’a pas voulu mettre en lumière.
1° Le fait seulement que les 7 aient été en Suisse, en plus « privés de leurs portables », blaisse atrocement un esprit congolais qui crie déjà, depuis 58 ans à la néocolonisation ! Qui au Congo voudrait avoir un candidat néocolonial ? Que je sache : personne !
2° Né à Kinshasa, sans assise dans un terroir d’aïeux (lequel ?), accusé de traitrise à l’encontre des ses frères de province… Cela peut peser lourd, très fortement, dans un contexte congolais et ouvrir les portes à Shadari – en supposant qu’il soit intelligent…
3° En Afrique, celui qui est au pouvoir tant toujours à être le plus fort. La population, souvent d’un niveau d’instruction, de formation et d’éducation peu élevé, se laisse manipulée, terrorisée, trompée, destructurée. C’est une carte que Shadari sait jouer, a déjà utilisée et exploite journellement, impunément.
4° Plus fondamentalement, l’avenir du Congo n’est pas dans les élections de 23 décembre 2018, à supposer qu’elles se tiennent. Par principe et dans les faits. Tout indique bien que le spectable que nous présente le régime de Kinshasa ne convainc personne : pas même Shadari. Pour s’en convaincre, attendons le 1er janvier 2019 qui nous en dira long.
Sous ce ciel sombre, que peut encore faire Fayulu ?
Notre analyse est tout d’abord que cette fois-ci, un tout petit pas en avant est accompli : des politiciens, qui représente une frange non négligeable de l’opposition, de force – manu militari – ou de bon gré – de bon coeur, se mettent autour d’une table et décident librement.
Le plus important maintenant, ce ne sont pas les élections qui de toutes manières, n’ont aucune valeur, sinon que dans les têtes de ceux qui voudraient leur en coller une, par ignorance. Le plus imporant c’est la capacité de Fayulu de mettre son équipe en marche pour pondre, en deux mois, un projet de société qui soit DÉCOLONISATEUR (libérateur vis-à-vis des occupants), DÉSESCLAVAGISANT (libérateur vis-à-vis des dominateurs, des pilleurs).
S’il réussi le pari, il faudra faire de lui un héro national, sans contestation !
S’il échoue, il faudra donné raison aux bandundois qui l’accusent depuis belle lurette de traitrise et d’imposture.
L’histoire de deux mois, nous fixera.